Au sommet de quoi allez-vous dire ? Et bien au sommet de leur art : de l’esthétique, de l’effort, du partage, de la contemplation et surtout du plaisir ! Le tout avec pas mal de rwigolade…
Allez, on arrête le suspense, ils sont partis à 5 (2 femmes et 3 hommes, enfin 5 humains quoi) et sont revenus à tout autant après un superbe point haut à 4810m sur le sommet du Mont Blanc le samedi 26 octobre 2019.

Petit historique :
Certains vous diront et hop un petit mont Blanc entre copains, un weekend ordinaire finalement. Mais détrompez-vous, l’histoire est bien plus riche de complexité et de complicité que cela !
Le weekend commence tôt chez les Ducks : une première fournée part jeudi soir direction Chamonix, sous la pluie pour poser l’ambiance automnale. La seconde moitié les rejoint vendredi de bon matin sur les 10h pour un repérage de l’atterro (et non de l’apéro comme me suggère la correction orthographique) de Saint-Gervais, terre de l’édile « Môssieur Penilex ». L’heure du grand départ approche, le temps est au beau fixe, une première depuis quelques semaines.
Pour contexte, la sortie a été discutée depuis quelques mois déjà. Cependant, chacun des derniers 14 jours a eu son lot d’espoir puis de pessimisme, puis d’optimisme :
– « ohhh non pas encore 50cm de fraîche là-haut »
– « qu’est ce qu’on va brasser »
– « on n’a qu’à prendre les skis »
– « oui… mais ça fait lourd en portage ».
Après de multiples discussions, (nos excuses pour l’impact environnemental), « on y va ; au pire ça fera un bon weekend à la montagne avec les copains et les sites de vol sont multiples par là-bas », « Plaisir et safety-first resteront les maîtres mots ».
Donc l’équipe est enfin réunie sous les pseudos de Will, So’, Kouk, Roro et Pedro (le saviez-vous : Kook en anglais signifie personne folle et/ou excentrique). C’est parti depuis Bionnassay pour une petite (mais qui fait déjà mal) montée à Tête–Rousse.
Enfin, partis ou presque : le grand de l’équipe ayant oublié son pantalon, on s’adapte et on se retrouve avec un pantalon bien serré pour l’un, un peu court pour l’autre, mais on est tous habillés, fins prêts. Quel travail d’équipe !
Aller, c’est parti : sortie de parking (1400m NGF) on embraye chauds comme des coins coins. On monte, on papote, on monte, puis une douce voix s’exclame « euhhh on n’est pas vraiment sur le bon chemin ». Heureusement la bonne humeur est là et l’on conclura rapidement : plus de kilomètres = plus de plaisirs ! Il a été vérifié de retour au parking que le panneau indiquait effectivement la direction opposée à celle empruntée : déjà en euphorie à 1400m, ce n’était quand même pas gagné…
Un petit effort plus tard nous voici arrivés au Nid d’Aigle (2372m) ; et oui ça aurait été trop facile de prendre le train, surtout que là on n’avait pas le choix puisqu’en arrêt pour l’hiver. Au Nid d’Aigle nous recommandons : la terrasse plein sud, les nouilles russes, le petit fromage de brebis et la vue sur le glacier de Bionnassay.
La végétation, c’est fini. Nous cheminons maintenant dans un environnement minéral, puis la neige s’invite à partir du plat des Rognes ; direction Tête-Rousse (3187m) où nous passerons la nuit du vendredi soir. Arrivés aux premières neiges la surprise est bonne : du monde est déjà passé. La trace est faite au moins jusqu’au refuge et ça : « c’est bon à prendre ».

Tête-Rousse : ça vous colle encore au cœur et au corps (cf Rockollection Voulzy). Le naturel revenant très vite et la journée se faisant sentir : on prend nos aises et c’est massage et bronzage jusqu’au coucher de soleil. La discussion avec les collègues de passage est limitée (2 biélorusses et 1 au dodo).

Dans ce beau cadre, ça tourne là-haut, dans le cerveau on s’entend. La vue sur le grand couloir est immanquable : on observe une équipe qui monte au crépuscule, on repère le parcours, les risques, on s’organise entre les cordées du lendemain.
Malgré des mets lyophilisés préparés avec amour, la soirée se fait brève et la nuit bien courte. Départ un peu avant 4h sous un ciel étoilé de rêve qui vous rappelle que vous n’êtes rien qu’un peu de poussière d’étoiles, pour tous ceux qui en doutaient encore. On commence religieusement et dré dans l’pentu, crampons aux pieds et piolet en main – ça sent la montagne. La montée est belle entre neige, rochers et… câbles. Cependant, 600m c’est long et on se demande bien ce que la journée va nous apporter.
Juste avant 6h : refuge d’hiver du Goûter. C’est l’occasion de réchauffer les corps. On boit aussi un thé salvateur… On distingue au loin les frontales des alpinistes partis directement du Goûter : « chic ça va être tracé, mais quelle chance ils vont être bien frais eux ». La pause sera un peu longue aux goûts de certains mais salvatrice pour d’autres. Et oui, quand on est 5 en montagne, patience et écoute sont les maîtres mots (avec safety first et plaisir naturellement).
La nuit se couche, le jour se lève, un fin croissant de lune nous accompagne, le calme vous étreint, il est poétique et accueillant. En ce dernier weekend d’octobre, les deux cordées se suivent sur la neige immaculée tombée les jours précédents. Il est passé 3800m, le souffle commence à se faire court, les cerveaux ont bien déconnecté. Il est bien 9h quand on passe enfin au Dôme du Goûter et retrouvons les rayons du soleil.


On voit au loin ou à côté, il est bien difficile d’estimer les perspectives dans ces lieux, l’abri Vallot accompagné de sa base CNRS. Petit retour à la réalité : CNRS = observatoire = Changement Climatique = effondrement = on profite de ces beaux paysages et de ces lieux encore en glace et accessibles = oui, on est tous un peu égoïste. Mais combien de temps encore pour profiter de ces merveilles ? Ça ressemblera à quoi tout ça dans 10 ans ? 50 ans ? Parallèlement, le bal des hélicoptères touristiques commence. Ils nous accompagneront jusqu’au sommet et ne cesseront avant 17h. Et oui dans le massif du Mont-Blanc, l’homme n’est jamais très loin. Petite descente puis remontée (qui casse bien les jambes avant l’abri Vallot).

Il est temps de faire un petit point. Nous repartons donc pour une pause thé. Pas de MAM apparent mais de la fatigue et quelques symptômes liés à l’altitude. Il est donc décidé de se poser / reposer un moment avant de prendre une décision quant à la suite des évènements.

A ce moment-là, la météo est favorable, l’heure est déjà bien avancée, il nous reste la longue arête des bosses à parcourir et encore 500m à monter. La décision collégiale est prise : on continue tranquillement… Finalement, pas à pas, bosse à bosse, graine à graine, balancement de hanche à balancement de hanche, et oui chacun ses motivations, nous voici en train de gravir le toit de l’Europe.


Et là, et là ! La dernière bosse s’estompe, le fil de l’arête se rétrécit et sans dire mot nous atteignons le sommet. Nous pouvons le confirmer, le Mont-Blanc est bien au-dessus du reste ! Les sourires reviennent sur les visages, les câlins sont de mise et l’émotion est à son paroxysme.


Mais HALT là, ACHTUNG, on est en haut maintenant, la seconde moitié de l’aventure reste à accomplir, car si on monte c’est aussi pour redescendre. Même si de là-haut la ville ne paraît pas si loin, quelques milliers de mètres nous séparent encore du BAR.
Heureux, probablement même euphoriques d’avoir atteint le sommet, confiants dans les prévisions, on ouvre les voiles. Les tendances sont annoncées Sud-Est : 20km/h max. Will et Kouk, prêts les premiers, descendent dans la face, mais ça souffle, ça souffle. Sud-Ouest. Comment prendre la décision : il y a trop ? Ça passe ? Il ne faut pas que ça casse. Et si on revient sur Chamonix, ça dit quoi le “sous le vent” ? On les voit plus bas décoller de l’aiguille du midi ; la fatigue est là, l’envie est forte…

La neige vole sur les sommets, le doute n’a pas sa place là-haut, c’est acté : on remballe et on redescend. Les corps et les esprits n’apprécient guère, une petite tension est palpable, tout le monde se re-concentre, s’active et ça repart… Mais jusqu’où ?!
Intermède sur la thématique : le temps file ou le temps qui court pour les adeptes. On est bien là-haut, enfin tant que tout va bien. Dans le paralpinisme, le ‘para’ reste toujours une option et il faut donc vraiment anticiper sur le temps et l’énergie nécessaires à la redescente pédestre.
Aucun décollage n’est possible en sud avant le Dôme du Goûter. Les corps et esprits fatiguent et à chaque passage sur l’arête le vent souffle. Les esprits imaginent tous les décollages possibles mais on avance… car beaucoup d’options s’avèrent vaines. La remontée vers le Dôme du Goûter pique à vif les corps. Il se fait 16h, la course dure déjà depuis plus de 12h (1700m de positif dans les gambettes et 8h à plus de 4000m).
Kouk et Will dans la fraîcheur de l’âge ont pris la tête et repèrent un possible déco en face sud du Dôme du Goûter. Ils se positionnent, démêlent, s’apprêtent, tout s’active. On remercie au passage très GRANDEMENT Roro et Pedro pour l’aide au décollage et à la prise de décision. Après un fastidieux démêlage, le repliage au sommet ayant été plus que négligé pour certains, les trois voiles solo sont en vol.


Calme relatif en vol. On passe par le col de Bionnassay, on observe tout notre itinéraire de montée, le refuge du Goûter… Wunderschön. Il est temps de s’installer et de tester les différentes techniques étudiées pour un vol rando confort : glissage du sac sous la sellette, retrait des crampons, visualisation de l’attéro…. et surtout en prendre plein les yeux !

Quelques 20 minutes plus tard, nous voici posés à Saint-Gervais-les-Bains et même bien posés :
Mais ils ne sont que 3 diront certains. Will en est d’ailleurs tout attristé (photo ci-dessus). Et oui le vent forcissant, la fatigue aidant et les suspentes s’enchevêtrant, le binôme qui ferme le vol n’a pas pu décoller et se met en route à la nuit tombante pour une douce nuit au refuge du Goûter.
La sécurité, c’est aussi renoncer.
L’arrivée se fera après un bel effort, chapeau bas messieurs, le dimanche peu après midi.

Le chapitre suivant constitue anecdotes, réflexions et conseils de voyages. Bonne fin de voyage et de lecture (si vous en avez toujours le temps et le courage 😉 ) :
Conclusion : décoller à 4300 avec crampons, vent et une bonne journée dans les pattes, ce n’est pas aisé. Alors comme pour tout : l’entraînement et la préparation sont de mise.
Ce récit est inspiré de faits réels mais aussi libre d’interprétation. Il est donc à compléter par de belles discussions au coin du feu, l’hiver approchant.
On apprécie la liaison directe existante avec le PGHM depuis chaque refuge. La propreté globalement bonne des lieux rencontrés et le calme automnal….
On a apprécié la valeur de l’eau qui se fait rare et difficilement exploitable une fois sous forme de neige. Merci donc aux jetboils et à leurs porteurs.
Les croustys c’est fini pour quelques temps.
On applaudira Will qui a oublié ses bâtons et ses lunettes de soleil, Roro qui a donné de sa personne dans un pantalon un peu à l’étroit, Kouk pour ses remarques et conseils on ne peut plus pertinents, Pedro pour sa motive et son expérience parapentesque (et son camion), et So pour les conseils beauté et son rythme imperturbable ! Cette aventure est comme beaucoup d’autres avant tout une belle histoire humaine, pleine d’alchimie et de bienveillance. Ce fut un weekend pas tout à fait comme les autres et qui vous change quand même un peu.
On grandit un peu que chaque jour mais ces jours-là, en montagne, il semblerait que l’on grandisse avec un peu plus de sagesse.
Pour mémoire, la discussion un peu surréaliste avec le PGHM vendredi soir.
Contexte : les 2 biélorusses papotent toute la soirée dehors sur la terrasse. Le français est couché, fatigué. Je lui ai donné un cachet d’aspirine pour soulager son mal de tête. Nous, nous mangeons nos lyophs, nous papotons. Eclats de voix. Rires. Forts (oups).
Puis nous nous couchons. Le sommeil est difficile à trouver.
Au bout d’un moment nous entendons (ceux qui sont réveillés) :
– refuge de Tête-Rousse, vous nous recevez ? Ici le PGHM
Le temps de percuter, de sortir du lit, de trouver le boîtier radio, j’embraye quelques minutes après :
– ici Tête-Rousse, vous cherchez à nous joindre ?
– oui. Combien êtes-vous.
– …… (calcul)…. 8 !
– Est-ce qu’il y a un William parmi vous ?
(Marie part voir si le français par hasard s’appelle William => oui !)
– En fait on en a 2 !
– On cherche William “Durand” (vrai nom non divulgué ici)
Le William en question arrive…
– Oui c’est moi
– Votre femme s’est inquiétée et nous a contactés
– Tout va bien, c’est juste que je n’ai pas de réseau et n’ai pas pu la contacter
Un moment nous avons tous cru que c’était la copine de “notre” William qui lui intimait de rentrer fissa à la maison pour pouvoir partir en vacances…