Dans le cadre d’une expédition à ski-pulka au Kirghizstan à laquelle je viens tout juste de participer (https://kirgski.com/), j’avais décidé d’emmener mon parapente. Le but était clairement d’explorer une vallée peu connue et d’y faire de beaux sommets à ski mais je voulais tenter de décoller là-bas. La cerise sur le gâteau en quelque sorte.
Ma voile (une whizz) faisait donc partie du voyage 🙂
Après avoir remontés sur 4,5j une longue vallée et une rivière gelée, puis un glacier, on installe un bon camp et on rayonne de là à skis pour explorer et faire quelques beaux sommets.
En partant quelquefois seul avec ma voile sur le dos je prends vite conscience de la difficulté de décoller dans des conditions de haute montagne et essuie quelques échecs : la 1ère fois trop pressé de voler depuis un sommet dégarni je sors la voile alors que le vent est bien trop fort. Erreur de débutant : elle fouette sur les rochers, je n’arrive pas à la tenir, je pose des pierres dessus, sac etc, tout valse, je la bloque même au piolet et j’abîme ma suspente de frein droit au passage (coupée à moitié).
La 2ème fois, le vent est favorable et je trace une grande plateforme pendant 2h, neige profonde à hauteur des fesses, puis le vent passe de dos (foutu vent catabatique présent partout ici !). Et même si la voile monte parfaitement, à skis je n’arrive pas à avoir de vitesse initiale rapidement, je m’enfonce trop. De plus comme redouté il y a des crevasses cachées sous mes pieds et je passe une jambe dedans en repliant la voile. Pas de panique mon ski n’est pas loin je peux l’attraper et le mettre en travers pour me sortir de là mais bon …
Je décide alors de ne prendre la voile que si le vent est faible, et surtout d’un endroit que j’estime parfait, c’est à dire une crête ou sommet plat et dégarni, et en décollant à pied et non à ski.
2j plus tard je repère une face au-dessus de notre emplacement de camp qui me fait de l’oeil et dont l’antécime a été soufflée par le vent, ça doit pouvoir décoller de là-haut. La face est plaquée mais en atteignant des rochers à mi-pente le cheminement a l’air faisable…
Le lendemain matin au réveil, il fait beau, il n’y a pas de vent, feu !! J’annonce à mes compagnons que je pars gravir la face seul. Eux partent à ski de l’autre côté du glacier.
Je rejoins le pied de la face à skis sur la droite en prenant garde aux crevasses. J’aurais préféré partir à gauche car j’étais plutôt à l’abri des avalanches mais les crevasses sont trop ouvertes : seul c’est trop risqué.
Je dépose les skis, mets les crampons et ne prends qu’un piolet et un bâton. Malgré ma voile dans le dos je me sens léger, pas de corde et de matos d’alpi à se trimballer et ma sellette est plus légère que mon harnais d’alpi habituel !
Je sonde un peu, j’observe, la pente est en effet plaquée mais le risque ne me semble pas très élevé si je fais gaffe. Je prends vite mes repères et monte prudemment, à l’affût du moindre signal d’alerte. Je rejoins des 1ers rochers affleurants, évite une zone d’accumulation de neige, puis une zone bombée. Ce n’est pas dur, pas si raide, mais je reste concentré. J’aime ces moments et aujourd’hui je me sens bien, à ma place, confiant.
Un dernier passage de 10m un peu plus raide et dangereux où j’essaie de me faire le plus léger possible en répartissant une partie de mon poids sur le bâton allongé sur la pente. La plaque dure est sous mes pieds, je veille à monter dessus sans que mes crampons ne la traversent. Ca y est, j’atteins les rochers à mi-pente, la suite c’est du mixte facile, je respire.
Je n’aimerais pas trop quand même à avoir à désescalader cette face chargée… Plus haut la pente s’adoucit, j’atteins la crête, l’endroit est pas mal pour un déco ! Pas de vent et je ne suis pas sous le vent non plus. Je continue sur la crête, en tant qu’alpiniste le sommet là-haut m’attire mais une grande crevasse en barre l’accès, il me faudrait une corde, et surtout je me réveille “Hé, Arnaud, y’a pas un pet de vent et ça peut vite changer, tu es là pour voler, ne l’oublie pas !”. Je fais donc demi-tour et rejoins vite mon déco. Je cours un peu en crampons sur les 1ers mètres de la pente, entre neige et cailloux, sans la voile pour faire une répétition. Je ne m’enfonce pas, ça va le faire !!
Voile rapidement dépliée, prévol sérieuse avec le coeur qui bat, mélange d’excitation et d’altitude, coup d’oeil à l’altimètre, je suis à 4415m. Petit stress quand je repense au fait que ma suspente droite est à moitié coupée, mais je chasse vite cette pensée.
En face de moi, de l’autre côté du glacier, à 4,5 kms de distance, j’aperçois 3 petits points : mes compagnons d’expé, à skis. Je pense qu’ils ont du surveiller de temps en temps ma progression et ont sûrement vu ma voile déployée, ils vont pouvoir filmer. Dernier moment de concentration, je suis confiant, tout s’est déroulé comme prévu et le temps est étonnamment calme, la seule inconnue c’est la faible portance. Je n’ai jamais décollé de si haut (ce n’est pas le Moucherotte ! Rires)
Une grande inspiration, allez, GO ! La voile gonfle parfaitement, et je me lance dans la pente en courant, mes crampons ne me gènent presque pas. Je ne sens pas la voile qui me porte, mais je décolle ! C’est le bonheur !
J’avais prévu au départ traverser un peu le glacier puis le descendre, aidé par le vent catabatique mais je me rends compte que je perds vite plus d’altitude que d’habitude, je n’irai pas assez loin, alors je décide de poser pas loin de la tente pour tout ranger et rejoindre à skis ensuite mes compagnons d’aventure. Un petit tour au-dessus des grosses crevasses du bas et j’effectue un grand demi-tour en visant l’axe à gauche de la tente. On est située sur une petite bosse et je ne vois pas exactement où se trouve le sol et je freine un peu trop tôt (sur la vidéo je découvre que je rate de peu à 20cms !), petite ressource puis je m’affale direct par terre quand mes crampons touchent le sol. Ce n’est pas très propre et le vol a été court mais je m’en fous, j’ai volé ! Quelle vue ! Et quel pied !! Je range vite ma voile et je ne pense plus qu’à rejoindre vite mes compagnons pour partager ma joie. Je retourne au pied de la face pour récupérer mes skis, en m’enfonçant jusqu’à la taille. Je dois repasser au-dessus du pont de neige et à pied c’est pas terrible, aussi je suis soulagé quand j’arrive à hauteur de mes skis. Ouf, suis en sécu. Dès lors, je me dépêche de traverser le glacier. Partis 2h après eux, je les rejoins au bout de 3h. Comme dit Severine « ça t’a donné des ailes de voler ! ».
10j plus tard, de retour à la capitale, je volerai deux fois au pied d’un autre massif (bien connu celui-là) et il y a eu quelques anecdotes (notamment en pénétrant par erreur dans un camp d’entraînement militaire en pleine parade !).
Matériel utilisé : voile Nervures Whizz 22m2, sellette Kliff de Kortel Design
Une petite vidéo extrait de ce vol vite fait :
Mais on fera un film pour cet automne et il y aura des images de parapente.
Arnaud Pasquer